Cet article est extrait du Magazine de l’ANPFS paru en février 2023.

Au cœur du triangle d’or, dans le pays d’Argentan, à quelques encablures du Haras National du Pin, il n’est pas rare que les petits villages normands abritent plus de chevaux que d’hommes. Les directeurs de ces célèbres haras doivent parfois remplir plus de cent juments par saison de monte. Un chiffre qui laisse songeur la plupart des éleveurs de poneys français, le plus souvent à la tête d’un cheptel plus modeste de deux, voire trois poulinières.

Pour autant, l’objectif pour chaque poulinière reste le même : « avoir un poulain l’an prochain » ; et l’attente fébrile identique, devant l’échographe, au moment du fameux diagnostic de gestation.

Face à une jument vide, éleveurs et étalonniers ont tôt fait de se renvoyer la balle, égratignant parfois au passage la compétence du vétérinaire ou de l’inséminateur.

Pourtant, si la médecine d’élevage relève bien des complexités, le sujet de la fertilité chez la jument et chez l’étalon fait état d’une littérature fournie et est aujourd’hui particulièrement bien maîtrisé par le corps vétérinaire. En comprendre les bases permet d’anticiper, et donc d’optimiser les chances de voir naître un poulain.

Le docteur Jean-Marc Betsch, chef de centre, reconnu pour son expertise dans la gestion de la subfertilité des étalons et son expérience en chirurgie reconstructrice du col de l’utérus et du périnée, nous accueille chez MB VET où les équipes vétérinaires suivent plus de deux mille juments par an en gynécologie.

Docteur Betsch, bonjour. Avant de parler des difficultés qu’un éleveur peut rencontrer, faîtes-nous un peu rêver : un poulain chaque année, c’est possible ?

Absolument ! Une jument peut avoir un poulain chaque année pendant au moins dix ans, si elle est résistante à la contamination du sperme (sourire)…. Je fais un peu de « teasing » !

Faut-il avoir une jument particulièrement fertile pour obtenir un tel résultat ?

La notion de fertilité, chez la jument, comme chez l’étalon, est une notion statistique : la fertilité par chaleur. Une jument a environ 40% de chances de remplir sur chaque chaleur exploitée. Mathématiquement, la jument doit être pleine après trois chaleurs exploitées, sinon quelque chose cloche quelque part.

Que doit-on en déduire si la jument reste vide ?

Mettons de côté pour l’instant le facteur « qualité de la semence » et concentrons-nous sur la jument. Une jument qui reste vide au bout de trois chaleurs correctement exploitées (ovulations réellement constatées) a très probablement un problème de subfertilité qui nécessite des examens complémentaires.  Les difficultés à remplir peuvent être d’ordre congénital (défauts anatomiques du périnée par exemple), ou conjoncturel.

Pour s’en assurer il faut tout d’abord procéder à un examen gynécologique basique : observer la conformation de la vulve et échographier l’utérus pour exclure la présence de liquide anormal ou de gros kystes. Puis réaliser une cytologie utérine qui va permettre de détecter une inflammation anormale de l’utérus. Le vétérinaire prélève des cellules desquamées, c’est-à-dire libres, au milieu de l’utérus, et vérifie l’absence de globules blancs dans le prélèvement. A la cytologie s’ajoute une bactériologie pour détecter la présence d’éventuels microbes et permettre un traitement ciblé le cas échéant.

Si la cytologie et la bactériologie sont négatives, et que la jument reste vide, il faut alors réaliser une biopsie utérine. Le vétérinaire prélève un petit morceau d’utérus dont l’analyse peut révéler d’autres anomalies plus profondes qu’une infection.

Statistiquement, la subfertilité de la jument vient à 90% de l’utérus, et dans 90% de ces 90% nous sommes face à un problème infectieux.

Si votre jument a des difficultés à remplir, il est conseillé de faire une cytologie préventive à l’automne, quand la jument est encore cyclée, pour détecter une infection éventuelle et la traiter avant la prochaine saison de reproduction. Si la jument est vide depuis plus d’une année il est conseillé de faire en plus une biopsie utérine car d’autres « maladies » en plus de l’infection peuvent être présentes. Enfin la biopsie utérine permet d’estimer les chances d’avoir un poulain dans la paille l’année prochaine, sous réserve d’un étalon fertile !

Et les 10% d’autres cas ?

Les 10% restants sont des pathologies ovariennes, et plus rarement des trompes utérines (oviductes).

Coudre la jument augmente-t-il les chances d’avoir un poulain ?

La suture vulvaire sert exclusivement à compenser une malformation de la vulve qui favorise la contamination de l’utérus en plus de la contamination naturelle par le sperme. A l’état naturel, les juments ayant des malformations de la vulve ou des conformations conduisant l’utérus à se « salir » et à provoquer des inflammations répétitives ne remplissent pas. Ces défauts de conformation étant héréditaires, et ces juments remplissant mal, les défauts de conformation tendent à disparaitre dans le temps puisque, la jument ne reproduisant pas, elle ne peut transmettre à sa progéniture ses défauts. En cousant la jument, l’homme compense les défauts héréditaires et limite les risques d’inflammation. Mais sans défaut particulier, coudre une jument n’améliore pas les chances de concevoir un poulain !

La douleur, le stress, le poids de la jument peuvent-ils aussi nuire au bon remplissage d’une jument ?

La douleur et le stress sont sans doute des causes de subfertilité ponctuelles mais restent difficiles à évaluer.

Les juments sous-alimentées peuvent présenter des défauts de fonctionnement ovarien. En revanche, aucune étude scientifique ne corrobore l’hypothèse que les juments trop grasses prendraient moins bien.

Quand tout se passe bien, à quel âge la fertilité de la jument diminue-t-elle ?

En moyenne, on perçoit une baisse de fertilité à partir de 14 ans, que la jument ait eu ou non des poulains auparavant.  Ainsi, par exemple, un éleveur a 30% moins de chance de remplir une jument de 14 ans qu’une de 8 ans car on note l’apparition de lésions dégénératives progressives des ovaires et de l’utérus mais sans gestation préalable. Le col utérin perd aussi sa fonction de bonne d’ouverture et fermeture régulière en l’absence de poulinage

Quels sont les problèmes que l’on rencontre chez l’étalon ?

Chez l’étalon, la mesure de la fertilité ne se fait qu’au regard du nombre de juments remplies par cycle. Il n’y a pas de mesure de la fertilité propre (« fertilité intrinsèque »). La question de la fertilité de l’étalon se pose en ces termes : quelle est sa chance en % de remplir une jument sur chaque chaleur exploitée ? On l’estime à 50% avec un étalon ayant une fertilité correcte. Un étalon subfertile n’aura que 20% à 30% de chance de remplir la jument. A l’inverse, un étalon très fertile aura 60% à 70% de chance de remplir la jument présentée.

 Mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’un même étalon peut être considéré comme très fertile si une quarantaine de juments lui sont adressées sur la saison et que le taux de remplissage par chaleur est bon, et subfertile si on décide d’adresser à ce même étalon cent juments et que le nombre de juments pleines par cycle diminue. La variable d’ajustement pour l’étalon, c’est le nombre de juments !

La qualité du sperme entre-t-elle quand même en ligne de compte ?

La qualité du sperme entre bien évidemment en ligne de compte ! Mais avec le même sperme, un étalon sera très fertile avec un lot de 40 juments à servir sur l’année, ou subfertile avec un lot de 100 juments. Certains étalons ont une durée de vie du sperme très courte, moins de 24 heures, tandis que d’autres étalons ont une longévité du sperme jusqu’à cinq ou six jours. Ainsi, si la durée de vie du sperme est courte c’est en saillissant proche de l’ovulation que l’on remplira plus de juments, et c’est donc la conduite de la reproduction qui compensera un défaut intrinsèque de l’étalon.

Là où chez la jument le vétérinaire peut intervenir pour améliorer la fertilité, chez l’étalon la fertilité ne se maîtrise qu’en évaluant le nombre idéal de juments et en gérant au mieux le cycle de reproduction pour avoir un bon taux de remplissage, qui est l’indicateur final et apparent de la fertilité. Enfin, certains étalons induisent plus de pertes embryonnaires précoces (juments qui coulent avant 40 jours) que d‘autres.

Un virus ou de la fièvre par exemple altère la fabrication des spermatozoïdes. Un cycle de fabrication /utilisation prend en moyenne 2 mois. Toute la production d’un cycle peut donc être de très mauvaise qualité pendant plusieurs semaines en cas de maladie, puis redevenir progressivement normale. Le stress de l’étalon peut aussi impacter la qualité de son sperme mais sans doute dans une moindre proportion.

L’utilisation de sperme congelé réduit-il les chances de concevoir ?

Dès lors que l’éjaculat est divisé pour constituer des doses congelées, et que l’étalonnier n’a donc pas la main sur le nombre de juments adressées à l’étalon sur la saison, il faut s’assurer d’une concentration en spermatozoïdes et d’une mobilité suffisante pour maximiser les chances de fécondation de la jument. Cette qualité intrinsèque du sperme est évaluée lors d’un spermogramme. Dans le cas du congelé, l’étalonnier doit aussi s’assurer que le sperme récolté résiste à la décongélation. Il faut considérer que le sperme congelé est en moyenne de moins bonne qualité que le sperme frais ou réfrigéré du même étalon.

Quels peuvent-être les facteurs de subfertilité chez l’étalon ?

Outre la qualité intrinsèque et la quantité de sperme, le vétérinaire doit aussi échographier les testicules et les glandes annexes pour s’assurer qu’il n’y a pas d’anomalies congénitales. L’une des causes fréquente de subfertilité transitoire de l’étalon est un défaut d’éjaculation malgré une très bonne libido. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent d’un ensemble des petits problèmes qui se cumulent avec parfois une douleur comme point de départ. Le vétérinaire doit alors faire une véritable enquête de terrain , observer le chevauchement ou la récolte et chercher toute cause de douleur physique chez l’étalon : boulets postérieurs, dos, jarrets… et traiter la cause sous-jacente. La composante stress se surajoute souvent au seul problème douloureux initial.

La castration chimique d’un étalon ou la médication pour soigner une blessure ou une maladie impacte-t-elle la qualité du sperme ?

La castration chimique permet de stériliser un étalon sans ablation des testicules. Cette stérilisation n’est pas toujours efficace à 100% ni définitive et des rappels de vaccins peuvent être nécessaires.

Des traitements médicamenteux peuvent aussi altérer la fabrication des spermatozoïdes mais c’est surtout l’infection qu’il faut combattre car elle a plus de chances d’altérer la spermatogenèse que les médicaments si ceux-ci sont choisis à bon escient.

A une époque où la santé et le bien-être sont au cœur des préoccupations, y a-t-il des compléments ou des produits à donner à ses juments ou à ses étalons pour optimiser les chances de concevoir ?

J’éviterais plutôt la maladie de l’excès ! Il faut privilégier une alimentation équilibrée, sans carences, Les acides gras essentiels, les anti-oxydants et la vitamine E sont plutôt favorables à une bonne fertilité. L’activité régulière est un autre facteur important. Enfin le surpoids est à éviter mais pas si facile chez le poney !

Existe-t-il des incompatibilités de couple ? Une jument et un étalon qui ne peuvent pas avoir de poulain ensemble ?

Cette croyance relève des expériences empiriques malheureuses des éleveurs. Mais il n’y a aujourd’hui aucune donnée scientifique qui corroborerait cette malédiction !